Le MAMCO hors des sentiers battus Espace 2 ( RSR ) émission « d’Art d’Art » du vendredi 29/ 02 /2008 Journaliste : Martine BEGUIN
Présentation de l’exposition de Henri Barande par Christian Bernard, Directeur du MAMCO:
C’est une des vocations d’un musée comme le MAMCO que de temps en temps d’attirer l’attention sur des artistes que rien n’a auparavant fait connaître ou presque, sinon de tous petits circuits extraordinairement discrets. Henri BARANDE est l’un d’eux. C’est un artiste français qui vit depuis très longtemps en Suisse, et développe une suite continue de tableaux qui ont tous la même hauteur, 2m15, et dont les largeurs varient beaucoup et les motifs varient infiniment, du plus abstrait monochrome à l’image la plus figurative dans l’esprit du photo réalisme. Henri BARANDE développe donc un vrai projet de peintures infinies re-parcourant à la fois les images de l’histoire de l’humanité, et d’une certaine façon les histoires de l’humanité, les images de l’histoire de la peinture et puis d’une autre façon les images de l’actualité de l’image, qu’elles soient brouillées par les formes de l’entropie numérique ou qu’elles soient au contraire extraordinairement incrustées dans chacune de nos cervelles par la médiatisation énorme dont certaines images peuvent bénéficier…
Martine Béguin : C’est une exposition assez étonnante parce que les tableaux sont présentés de façon très très proche les uns des autres, on a la sensation d’un tableau continu pratiquement, dont les motifs varient tout le temps, et puis on n’a pas du tout la sensation d’être devant de la peinture. Moi j’ai la sensation d’être devant des images sérigraphiées sur du tissu ; il y a quelque chose d’assez anonyme et pourtant, alors même que les images sont très fortes et un peu angoissantes, un peu oppressantes, on a l’impression que chaque tableau est un gouffre…
C. Bernard : J’aime bien cette idée du gouffre… Effectivement, l’accrochage très rapproché des toiles n’est pas un tic de mon accrochage, mais bien un fait inspiré par la façon dont Henri Barande présente ses oeuvres chez lui dans son propre atelier… J’ai même espacé davantage les toiles qu’il ne le fait lui-même, parce qu’il y a effectivement l’idée d’une peinture continue et qui n’est fragmentée que tableau après tableau, mais qui forme un tout. Et puis d’autre part effectivement, ce sont des tableaux plus que des peintures, même si ils sont effectivement peints ; ils sont peints de telle sorte qu’il n’y a presque pas de matière picturale. Il y a une sorte de dématérialisation de la matière picturale qui s’applique infiniment légèrement sur la toile peu apprêtée, ce qui la fait se confondre presque avec la toile. Ça évoque plutôt des toiles insolées photographiquement ou des toiles sérigraphiées, ou des tissus imprimés. L’idée je pense pour Henri Barande, est d’effacer tout pathos du sujet peint au profit d’une image neutralisée, distanciée… Il y a une fascination de beaucoup de ces images et cette fascination est contredite ou peut être contrôlée, ou peut être qu’on en est simplement protégé par cette façon de peindre très plate extraordinairement précise et distante et refroidie à la fois…
M. Beguin : Alors pour parler à nouveau du gouffre, on voit des surgissements de formes, des surgissements de personnages, des personnages au contraire qui semblent se fondre voire disparaître dans la toile, des images hyper réalistes, des photos de presse comme la petite jeune fille qui court dans la rue pendant la guerre du Vietnam, d’autres images qu’on peut avoir à l’esprit, des crânes… enfin des choses assez fortes au niveau de l’image… Ce répertoire d’images comprend également des petites sculptures réalisées par Henri Barande lui-même… Alors il est peintre, sculpteur, les deux à la fois ?
C. Bernard : Il a d’abord été sculpteur et pendant de très longues années, ça a été une activité considérable pour lui, et une activité qu’on pourrait presque qualifier de compulsive. En tous cas ses sculptures souvent réalisées en mie de pain tenaient pour la plupart dans l’espace d’une main, d’une paume, et portaient la marque de leur malaxage par le bout des doigts… Certaines ont l’aspect de quelques sculptures de Giacometti, mais elles ont quelque chose de très singulier de très primitif, de très chargé je dirais libidinalement. C’est vraiment des objets qu’on peut à peine dater. Pendant de longues années Barande ne faisait que cela et très probablement il y investissait l’essentiel de son énergie et de sa tension vitale. A un moment donné, il a souhaité prendre ses distances par rapport à cette activité qu’on pourrait dire extrêmement manuelle, bien que très symbolique, et passer à une pratique plus distanciée, plus objective, moins chargée personnellement, qui est celle des tableaux que nous exposons aujourd’hui. Beaucoup des sculptures qu’il a réalisées précédemment il les a fait disparaître, et donc il n’en reste qu’un échantillon assez large mais malgré tout très limité.
M. Beguin : Et donc c’est un univers assez étrange que celui de ces tableaux. Vous êtes interpellé de quelle façon par l’ensemble de ce travail, qu’est ce que ça provoque en vous ?
C. Bernard : C’est un cas que je trouve assez paradoxal. Ca ne relève évidemment pas de l’art brut, c’est un homme cultivé qui vit dans le monde d’aujourd’hui où il a gagné les moyens de sa liberté, je parle des moyens économiques et moraux. Ce n’est pas du tout un marginal sur ce plan là, ce n’est pas non plus un art psychopathologique, de loin pas, c’est un art extrêmement réfléchi, maîtrisé à tous égards, et cependant c’est une démarche tout à fait différente de celles qu’on est accoutumé de rencontrer dans le monde de l’art. C’est d’abord une démarche solitaire pour l’essentiel… Cet artiste est actif depuis plusieurs décennies sans que personne ne l’ait appris, donc c’est une démarche singulière et solitaire et puis c’est une démarche très professionnelle, il est entouré d’assistants de très grande qualité, lui même a une compétence plastique remarquable, et en même temps c’est comme le labyrinthe d’une existence vouée à réfléchir sur l’histoire du monde sans que l’on fasse un discours à transmettre. Au fond, on est les premiers à montrer de façon sélectionnée, très minutieusement articulée, l’histoire d’un homme qui s’est fait à l’écart des autres.